vendredi 29 mai 2015

Caro, le jugement dernier

Le jugement dernier, Anthony CARO, 1995-1999, Collection Würth.

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Introduction :
Considérée comme son chef-d’œuvre des années 1990, cette installation, composée de 28 stations chacune étant inspirée de différentes sources (Dante, la Bible ou la mythologie classique...), évoque de façon originale et unique les thèmes chrétiens de la rédemption et de la malédiction.

L'artiste : Anthony CARO :
né le 8 mars 1924 à New Malden, Grand Londres ; britannique ; mort le 23 octobre 2013 ;
sculpteur abstrait dont le travail se caractérise, dès 1963 à son retour des États-Unis, par l'assemblage d'éléments métalliques de récupération, peints souvent de couleurs vives. Il travaillera aussi l'architectonique, les sculptures de table ou en papier.
il est nourri de sources et de références ; ses œuvres s'inspirent fréquemment d’œuvres du passé (ex : la chaise du tableau de Van Gogh, 1888, pour « Van Gogh Chair V », L'Annonciation de Duccio di Buoninsegna, 1311, pour « Duccio Variations N°2 » ou L'Adoration des Mages d'Andrea Mantegna, 1462, pour « The Procession of the Magi »...). Mais il n'est pas question de créer des copies serviles des originaux ; ces derniers ont plutôt joué un rôle déclencheur, orientant l'évolution des sculptures ainsi réalisées, dans un souci esthétique des proportions.
Ces sculptures de grand format, lourdes en poids mais laissant un espace au vide, placées sur le même plan que le spectateur, constituent un tournant radical dans l'histoire de l'art tridimensionnel.


I) L'origine et les sources de l’œuvre :

"The Last Judgement " trouve son origine dans les horreurs ethniques de la guerre et des nettoyages ethniques, en particulier dans les images atroces de la guerre de Bosnie-Herzégovine au début des années 1990. [// Picasso : Guernica, 1937, trouve son origine dans les sentiments du peintre à la suite du bombardement de civils innocents)
« Cette œuvre a trait au Kosovo, explique Anthony Caro. Elle n'est pas étrangère à ce qu'on voyait tous les soirs aux informations télévisées. La guerre, les bombardements, les massacres. Ces tragédies épouvantables ont eu un effet sur moi, c'est certain. »

Dans le choix des stations, on repère différentes sources :
  • des éléments bibliques : L'Echelle de Jacob, Les dernières trompettes, La porte du Paradis, Les Danses de Salomé, Judas, Confession
  • des éléments mythologiques : Charon / Les Furies / Les Champs-Elysées / Tirésias
  • des références explicites à la mort violente : La Porte de la Mort / Les Ombres de la Nuit // Nature morte – Crânes / Sacrifice
  • des références explicites à la guerre : Prisonniers / Guerre Civile / Chambre de Torture / Le Soldat Inconnu
Et dans le catalogue de l’œuvre, « validé » par l'artiste, chaque station est mise en regard d'une citation, extraite de l'Odyssée d'Homère, de l'Enéïde de Virgile, de l'Enfer de Dante, des poètes Baudelaire ou Wilfred Owen, de Faust, de Musset, de Dickens...

Toutefois, Anthony Caro poursuit : « Mais je doute pouvoir tracer une ligne nette : l’œuvre signale, elle ne raconte pas une histoire. »


II) Des sources dans la tradition des « Jugement dernier ».

1. Le parcours des portes
Caro cherche à voir comment l'homme est confronté à ses actions ; à plusieurs niveaux : religieux, mythologique, littéraire, historique... mais toujours symbolique (et pas réaliste).

L'installation ouvre avec Le Clocher. Station faite avec du bois de récupération, qui a « vécu »... C'est du bois de traverse du métro londonien. C'est une référence à la porte d'un camp ; de prisonniers, de concentration... De l'autre côté, il y a le monde des Enfers ; c'est la porte qu'on franchit pour entrer dans un camp mais qu'on ne franchit que dans un sens ( le cas pour les portes des camps de concentration...). L'artiste nous propose de passer par cette porte ; nous, spectateur, on la franchit symboliquement pour « entrer dans » l’œuvre,Symbolique forte.

On arrive ensuite devant La Porte de la Mort. Celle-là est fermée ; l'artiste n'a pas la prétention de nous la faire passer.

Au bout, il y a Les Dernières Trompettes, motif très répandu dans le Jugements Dernier (cf cathédrale de Strasbourg, à la fois sur le Pilier du Jugement dernier, sur le Portail de sortie ou sur la façade...) ; elles ne sont pas là pour acclamer ou fêter, mais pour réveiller les morts pour qu'il y ait réunification du corps et de l'âme.
« Je vais vous révéler un secret : nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous transformés en un instant, en un clin d’œil, quand sonnera la dernière trompette. Car lorsqu'elle sonnera, les morts reviendront à la vie pour être immortels et nous serons tous transformés. » Bible, Corinthiens, I, XV.
!!! Description porte à développer et enrichir
Une fois corps et âme réunis, il y a le jugement de Dieu qui nous mènera en Enfer ou au Paradis, via La Porte du Paradis, entrouverte ; on pourrait s'y glisser...
2. Entre Le Clocher et La Porte de la Mort, la station de Charon.

« Et voici s'avancer vers nous dans un bateau un vieillard blanc d'antique poil, Criant : « Malheur à vous âmes méchantes, n'espérez pas voir un jour le ciel : Je viens pour vous emmener à l'autre rive dans les ténèbres éternelles, en chaud et gel... ». Mais ces ombres qui étaient lasses et nues, changèrent de couleur et claquèrent des dents Dès qu'elles entendirent ces mots cruels. » L'Enfer, Dante, livre III

Dans la mythologie grecqueCharon ou Caron, le « nocher des Enfers » (le nocher est celui qui conduit une embarcation), était le fils d'Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (la Nuit). Il avait pour rôle de faire passer sur sa barque, moyennant un péage, les ombres errantes des défunts à travers le fleuve Achéron (ou selon d'autres sources, le Styx) vers le séjour des morts.

Charon était un vieillard à l'aspect revêche, sale et peu conciliant mais encore fort solide et qui ne se laissait pas fléchir par les prières de ceux qui n'avaient pas de quoi le payer. Vêtu d'une cagoule, il choisissait ses passagers parmi la foule qui s'entassait sur la rive. Seuls ceux ayant mérité un enterrement adéquat étaient choisis et uniquement s'ils pouvaient payer le voyage, entre une obole et trois oboles, d'où la coutume de placer une obole sous la langue du mort avant son enterrement. Ceux qui ne pouvaient payer devaient errer sur les bords de la rivière pendant cent ans.
Homère et Hésiode ne font aucune référence au personnage en tant que nocher infernal. La première mention du nom « Charon » dans la littérature grecque est une citation par Pausanias d'un poème perdu rattaché au Cycle épique, la Minyade. Et Diodore de Sicile évoque les allégations d'Égyptiens selon lesquelles le nom Charon et le mythe associé trouveraient leur origine dans des coutumes funéraires égyptiennes.
Il était très rare que Charon laisse passer un mortel encore vivant.
* Héraclès, quand il descendit aux Enfers sans mourir, n'aurait pas pu passer s'il n'avait usé de sa force pour le contraindre à lui faire passer le fleuve, à l'aller comme au retour. Charon fut emprisonné un an pour l'avoir laissé passer sans en avoir obtenu le paiement habituel pour les vivants, un rameau d'or obtenu auprès de la sibylle de Cumes.
* L’Énéide de Virgile (chant VI) raconte la descente d'Énée aux Enfers, lui aussi armé d'un rameau d'or donné par Apollon, et accompagné de la Sibylle.
* Autre mortel à avoir « deux fois vainqueur traversé l'Achéron » (Gérard de NervalLes Chimères « El Desdichado »), Orphée charma Charon, ainsi que Cerbère, pour ramener du monde des morts sa bien-aimée, Eurydice. C'est après la deuxième traversée, au retour, qu'il la perdit définitivement.
* Enfin, la belle Psyché, bien que vivante, paye par deux fois Charon (l'aller et le retour) afin d'accéder au palais de Perséphone pour le compte d'Aphrodite, comme Apulée le raconte dans ses Métamorphoses.
* Dante, guidé par Virgile, rencontre Charon dans l'Enfer (premier livre de la Divine Comédie). L'accès lui est interdit en tant que vivant (seules les âmes damnées sont autorisées à franchir l'Achéron dans l'embarcation de Charon), il franchira cependant l'Achéron de façon surnaturelle lors d'un évanouissement.


Chez Caro, [ !!!description porte à développer et à enrichir ] on retrouve la représentation symbolique de la barque avec un large morceau arrondi, propulsée par un « tube » surmonté d'une tête métallique, assez laide, Charon, à l'aide d'une longue perche, barque dans laquelle on voit les âmes des défunts, représentées avec 2 yeux, un nez... en fait, des éclisses (pièces pour les aiguillages) détournées.

III) Une création originale

1. « Une » « œuvre » ?
Ce n'est pas une œuvre mais une installation ; il y a une dimension spatiale ; on est « dans » l’œuvre tridimensionnelle.
Il y a 28 « stations », chacune étant une œuvre, référence aux stations du chemin de croix du Christ, véritable enfer aussi ??? Chaque station est indépendante ; toutes ne racontent pas une histoire unique, il n'y a pas forcément un cheminement fixé. Mais il y a un lien, la notion d'enfer et de justice, des différentes formes de justice (biblique, morale, populaire...)
Enfin, contrairement aux Jugements derniers « classiques », la représentation n'est pas verticale (cf tympans au-dessus du Portail de la cathédrale) mais horizontale.

2. Différentes formes de justice : la station des Danses de Salomé
L'histoire et les sources : Salomé est le nom d'une princesse juive du ier siècle mentionnée chez l'historiographe judéo-romain Flavius Josèphe. Dans le Nouveau Testament, une « fille d'Hérodiade » — habituellement identifiée par la tradition chrétienne à cette Salomé — est l'héroïne d'un épisode des évangiles , selon Matthieu et Marc, qui est la reproduction d'un récit populaire profane et que son aspect scandaleux rend historiquement peu vraisemblable.
Le père de Salomé, Hérode (fils d'Hérode le grand et de la fille du grand prêtre Simon Boëthos), est appelé Philippe dans les évangiles. Sa mère, Hérodiade, quitte son mari Hérode Philippe pour se marier avec le demi-frère de celui-ci, Hérode Antipas (fils, lui, de Hérode le Grand et de la Samaritaine Malthace), qui est tétrarque (= dirigeant) de Galilée. Flavius Josèphe évoque un comportement contraire aux lois nationales, qui fait référence au fait qu 'Hérodiade  « s'est séparée de son mari encore vivant ».
En effet, pour être nommé à la tête de la tétrarchie de Hérode Philippe par l'empereur, Hérode Antipas a imaginé conforter sa position en se mariant avec Hérodiade, la mère de Salomé. La manœuvre semble habile car Hérodiade, descendant à la fois d'Hérode le Grand et des Hasmonéens, est d'une lignée nettement plus assurée que la sienne et une union matrimoniale pourrait renforcer la prétention d'Antipas à obtenir le titre royal de la part de l'empereur.
« Partant pour Rome », là où tout se décide, Antipas passe proposer le mariage à Hérodiade, ce qu'elle s'empresse d'accepter. Elle décide de se séparer de son mari encore vivant, ce qui fait scandale dans la région dès que ce projet est révélé. Ils conviennent qu'elle cohabitera avec lui dès qu'il sera rentré de Rome et surtout « qu'il répudierait la fille d'Arétas », avec laquelle Antipas était marié. Seul Jean dit le Baptiste (car il baptisait les chrétiens « dans l'eau », en attendant que le Seigneur les baptise lui-même) aurait osé élever sa voix contre cette union.
Un soir, la fille — ou la « fillette »— d'Hérodiade, Salomé, danse devant Hérode Antipas, qui est donc son beau-père (et oncle!). Charmé, celui-ci lui accorde ce qu'elle veut. La jeune fille ne sait pas quoi demander. Elle va voir alors à sa mère qui lui conseille (pour sa propre vengeance) de réclamer la tête de Jean Baptiste, qu'Hérode Antipas, bien qu'il en fut triste mais ne pouvant revenir sur une promesse qu'il avait faite devant tout le monde, se résout à faire apporter sur un plateau.
L'enfant sans désir propre qui apparaît dans l'épisode néotestamentaire devient un personnage de tentatrice sensuelle qui inspire les artistes, particulièrement aux xixe et xxe siècles.


La représentation : on voit, dans la station de Caro, Hérode Antipas à l'arrière, dans l'ombre. Mais c'est surtout Salomé qui ressort, bien sûr. A noter le diadème (en outils éclectiques!) sur sa tête et l'habileté du sculpteur à créer, dans le métal, l'effet des drapés de la robe. On remarque aussi le plat sur la table, qui permet l'identification de la scène. On note aussi la tige articulée de côté, symbole du bras manipulateur de la mère.
Ce sont ici deux formes de « justice » qui sont dénoncées : le fait du maître (roi qui a droit de vie et de mort) et la vengeance, « justice » archaïque, qui s'accomplit.



3. Actualisation des sources ; une œuvre inscrite dans son temps ;
La station Guerre civile : Idée de chaos et d'anarchie // Guernica, ville bombardée par les armées allemandes et italiennes fascistes. On retrouve des fragments de pieds, de mains, de tête … et même d'animaux (// Picasso) [ !!! description à développer et à enrichir]
Évoque la guerre, les guerres cf tige métallique qui traverse/transperce un fragment : une arme, mais ancienne (sabre ? baïonnettes?) ou contemporaine (canon ? mitraillette ? ). Symbolise toutes les guerres, comme la forme arrondie (tank ? Obus ? …).
Station en 2 parties.... comme une guerre civile, toujours 2 parties qui s'affrontent dans un même pays, sans aucune loi. Et en guerre civile, comment se fait la justice ? Archaïque...


Conclusion cf M. Geiger

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