Doc Histoire des arts 3° / Jouassin / 2010-2011
Otto Dix
(1891-1969)
In L’œuvre d’art et le pouvoir – Repère historique : 1ère
guerre mondiale
Présentation :
Fils d’un ouvrier travaillant sur les voies ferrées, Otto Dix étudie à l’école
des arts décoratifs de Dresde et de Düsseldorf (1910 à 1914). Lorsqu’éclate
la première guerre mondiale, il s’engage volontairement en tant que soldat dans
l’armée allemande (section artillerie de campagne). Il combattra, entre autres, sur les
fronts russe et français.
Sur le front, Dix se comporte tel un reporter et dit vouloir « Tout voir de ses
propres yeux pour témoigner que cela s’est passé ». Malgré les conditions atroces
des tranchées, il constituera une sorte de journal de guerre sous forme de dessins :
600 seront réalisés ; tous représentant des décombres, explosions de grenades,
champs jonchés de cadavres et soldats tapis dans les tranchées.
L’expérience de la guerre s’avère un événement décisif dans la vie personnelle du
peintre ainsi que pour son inspiration artistique : « La guerre est quelque chose de
bestial : la faim, les poux, la boue, tous ces bruits déments […] Il me fallait y être à
tout prix. Il faut avoir vu l’homme dans cet état déchainé pour le connaître un peu ».
Ainsi, les œuvres réalisées après 1914 sont-elle hantées par la mort, la guerre
et ses ravages. Par exemple, Les joueurs de Skat (1920) ont pour sujet les mutilés de
guerre. Les trois personnages, privés de leurs mains, sont contraints de tenir leurs
cartes avec le pied, la bouche ou une prothèse. Plus tard, Le Triptyque de la Grande
Ville (1927-1928) reprendra les thèmes chers à Otto Dix : les ravages de la guerre et
la décadence humaine en général. Enfin, La Guerre, grand triptyque réalisé de 1928
à 1932, remet au jour quelques 10 ans plus tard et violemment l’expérience de la première guerre mondiale. Otto
Dix s’est sans nul doute inspiré des 600 dessins réalisés sur le front mais également du Retable d’Issenheim (1515)
peint par Matthias Grünewald.
L’entre-deux guerres est un moment de création intense pour Dix puisqu’il rejoint, à partir de 1925, le mouvement
de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlihkeit). Les peintres, rattachés à ce mouvement, optent pour une figuration
réaliste détaillée. Leurs tableaux sont le reflet de la société contemporaine et ont pour thème, le plus souvent, le
portrait réaliste, la ville industrielle, les mutilés, les mendiants, les trafiquants ou profiteurs de guerre. Les
personnages apparaissent souvent dans des postures sinistres ou grotesques. Enfin, sur un plan personnel, Otto Dix
se marie en 1923 avec Martha Koch dont il aura deux enfants : Nelly et Ursus.
Tandis que le nazisme reprend vigueur en Allemagne, Otto Dix devient enseignant à l’académie d’art de
Dresde (1927) et obtient une chaire à Berlin (1931). Puis, en 1933 (année où Hitler est nommé Chancelier en
Allemagne), Dix tombe en disgrâce : il perd son poste d’enseignant et est déclaré artiste « dégénéré » par les nazis.
« Il est dommage qu’on ne puisse pas enfermer ces gens-là » dira Hitler devant ses œuvres. D’ailleurs, environ 250
de ses toiles seront brûlés lors d’un autodafé. Le peintre, accusé d’avoir participé à un attentat contre Hitler, est
arrêté et emprisonné à Dresde. Une fois libéré, Dix s’exile au bord du lac de Constance où il restera jusqu’à la fin
de sa vie. Il ne peindra plis alors que des paysages et des sujets bibliques.
Sources : La Peinture moderne, Gallimard, p. 376 ; L’aventure de l’art du XX° siècle, J-L Ferrier, Chêne, p. 312 ;
L’Histoire de l’art du Moyen-Âge à nos jours, Larousse, pp. 706-707 ; Encycloædia Universalis « Otto Dix »
Otto Dix, Autoportrait en
soldat, 1914.
Huile sur papier, 68 x 53,5 cm Doc Histoire des arts 3° / Jouassin / 2010-2011
Analyses d’œuvres
1. Triptyque de la Guerre.
La Guerre, triptyque, 1929-1932.
Technique mixte sur toile. Panneau de droite : 204 x 104 cm ; panneau du milieu : 204 x 204 cm ; panneau de
gauche : 204 x 104 cm ; prédelle : 60 x 204 cm.
Le tableau a pour thème, la première guerre mondiale (1914-1918). Otto Dix retranscrit, dans cette toile,
la violence des combats autour des tranchées et l’ignominie des massacres. A la fin de l’année 1914,
les combattants s’enterrent dans les tranchées. La guerre d’usure commence avec ses souffrances : la pluie, la boue,
les poux, les rats, le froid et les gazs asphyxiants tant redoutés. Otto Dix a connu tout cela et son expérience de
soldat a nourri celle de l’artiste.
Les quatre panneaux semblent relater une journée de combat :
En premier (panneau de gauche), les soldats partent au combat, à l’aube. Nous repérons beaucoup de
brume, comme aux petits matins d’automne ou d’hiver (//fin de l’année 1914, les deux armées s’enterrent dans les
tranchées. Lorsque l’hiver commence, le front est stabilisé et l’on comprend que la guerre sera longue). Les soldats
portent des bardas (sac en toile, chaussures) et le fusil à l’épaule. Enfin, au premier plan, la roue d’un canon
rappelle que nous sommes sur un champ de bataille. A l’arrière-plan, le ciel est rempli de nuées rouges et
inquiétantes. Ces mêmes nuées se retrouvent, incendiées dans le panneau de droite.
Deuxièmement, le panneau du milieu nous conduit au cœur de la bataille. Un abri a été détruit et il n’en
reste que les ruines et la structure (sur la gauche). Un squelette est accroché au sommet de cette structure, symbole
de mort, il pointe sa main décharnée vers l’amoncellement de corps humains situés sur la droite. Otto Dix ne nous
ménage pas, la guerre est une horreur et il entend la montrer dans toute sa cruauté. Le charnier laisse voir des
chairs en putréfaction, des jambes criblées de balles, des têtes décomposées et hurlantes. Le seul survivant, dans
cette partie du tableau, est le soldat muni de son masque de protection contre les gazs asphyxiants. La référence à la
guerre des tranchées est évidente.
Troisièmement, le panneau de droite semble dans la même tourmente que le deuxième : couleurs chaudes
(ciel orageux et incendié à l’arrière-plan) et couleurs froides (soldats au 1° plan) s’affrontent. Au premier plan,
deux soldats se détachent du combat, fantomatiques comme deux statues de pierre. L’un d’eux nous fixe avec
intensité et tente de relever, courageusement, son camarade blessé à la tête. Ici, il s’agit de l’artiste qui a tenu à se
représenter lui-même dans la toile. Il nous rappelle qu’il a été témoin et acteur des combats. Son courage évoque
également les fortes amitiés qui unissaient les soldats et qui leur permettaient de garder l’espoir et le moral. Doc Histoire des arts 3° / Jouassin / 2010-2011
Dernièrement, la prédelle –située en dessous du panneau central– semble clore cette journée de combats.
Des soldats reposent sous une tente, l’atmosphère sombre indique que la nuit est tombée ou que leur refuge est
sous terre. Ils ressemblent à des cadavres.
Dans l’ensemble, cette peinture fourmille de détails, Otto Dix s’applique à décrire, avec minutie la cruauté
des combats. Cette manière de peindre indique bien son appartenance à la Nouvelle Objectivité : il a le souci de
rendre, objectivement, les faits qu’il a vu ! Réalisée plus de dix ans après la fin des combats, cette peinture
témoigne avec horreur et véracité de la violence d’une journée de combat pour un soldat.
2. Les joueurs de Skat.
Les joueurs de Skat, 1920.
Huile sur toile, collages. 110 x 85 cm
Ce tableau, bien qu’antérieur à La Guerre, nous montre
les conséquences de la première guerre mondiale.
De retour des combats, nombreux soldats se retrouvent
mutilés, blessés et/ou invalides. Ici, trois mutilés jouent aux cartes.
La pièce est sombre et seul l’éclairage d’une ampoule donne la
clarté nécessaire pour illuminer les personnages. Mais cette
lumière est morbide, un crâne est dessiné en son centre.
Les trois personnages sont assis autour d’une table.
Le premier, en partant de la gauche, a perdu une jambe, une main
et un bras. Il tient ses cartes avec un pied. Au centre, l’homme a
perdu la moitié de ses jambes (remplacée par des prothèses) ainsi
que les bras. Il tient ses cartes à la bouche. Le dernier, situé à
droite de la composition, a perdu tout son bassin et ses jambes. Il
tient ses cartes avec la prothèse de son bras droit. Sans rancune
contre la guerre qui l’a pourtant privé de la plupart de ses
membres, il porte la croix de guerre sur sa veste.
Otto Dix ne fait preuve d’aucun respect pour les anciens
combattants, ses camarades de tranchée. Il les représente tels des
monstres grotesques.
Loin d’exalter l’héroïsme, il dénonce au contraire la
sauvagerie destructrice. Avec La Guerre et Les joueurs de Skat,
l’artiste témoigne de la violence à laquelle peut mener le pouvoir, de la barbarie et des effets de la guerre sur
l’homme.
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